Il n’échappera à personne que depuis une dizaine d’années, il n’est plus fait mention de la fameuse mort des micro-ordinateurs ou consoles, dont l’échéance redoutée faisait régulièrement débat dans les revues spécialisées dès le milieu des années 1990. Ou disons plutôt que les changements redoutés n’ont pas eu les effets escomptés sur ce qui s’annonçait comme la disparition d’un pan entier de l’industrie vidéoludique. Le PC n’a certes plus le privilège d’accueillir autant de titres exclusifs que par le passé mais force est de constater qu’il a su à sa manière se démarquer de l’uniformité assumée des consoles de cette génération. Il me semble que le PC a fait toujours fait figure de résistance, au point de sortir aujourd’hui de plus en plus de jeux destinés d’abord au marché des consoles, avec des portages qui n’ont plus la médiocrité légendaire auxquels nous étions habitués.

Les consoles font aujourd’hui à leur tour l’expérience de cette perte de monopole, avec l’arrivée (l’explosion) récente du mobile, en proposant pour la première fois des titres sur tous supports, comme cela a été le cas avec la réédition de Grim Fandango. Pouvoir jouer aujourd’hui à un jeu PC sur console ou mobile et inversement me fait prendre conscience de la vacuité du modèle des exclusivités, alors que chaque machine est construite aujourd’hui avec des composants et des systèmes d’exploitation similaires. Cette « Guéguerre » de machines qui a forgé toute une industrie autant que des tendances commerciales fait place à une vision plus uniforme centrée sur les jeux eux-mêmes. De l’appareil, nous sommes passés à la plate-forme, du genre par machine, nous sommes passés au genre tout court.

Depuis l’uniformisation des supports optiques comme le CD-ROM, je dirais qu’aujourd’hui le jeu vidéo rejoint ce que le cinéma a expérimenté avec la vidéo au début des années 1980 et que tout le monde devrait s’en réjouir. Les fidèles de l’expérience originale souhaitent d’abord revisiter leurs propres souvenirs avant même l’expérience d’origine. D’autres, et c’est mon cas, n’ont eu de cesse que de reparcourir le jeu vidéo, non pas sous l’angle par lequel ils l’ont connu – comprenez un écran de 14 pouces, une carte Voodoo 2 et une souris à boule – mais de manière optimale, et cela quel que ce soit son support. Jouer au(x) (vieux) jeu(x) vidéo aujourd’hui est pour moi pousser l’expérience, pour (re)vivre un titre de la manière la plus valorisante possible. Il est incontestable que les jeux entièrement jouables à la souris n’ont jamais été aussi ergonomiques qu’à l’ère du tactile. Et les Remastered Edition n’ont en comparaisience du jeu et faire fi de la contrainte commerciale dans laquelle il a émergé. Je ne suis pour ainsi dire pas nostalgique des vieux écrans cathodiques et des temps de chargement interminables mais, au conton jamais semblé aussi paresseuse, point d’orgue du manque de courage des éditeurs au fil des ans.

J’ai connu pour ma part, à travers les années 1990 et 2000, une expérience toute personnelle de jeux qui sont considérés aujourd’hui comme des classiques. Je suis également totalement passé à côté d’autres, par manque de temps et de moyens, et que je découvre aujourd’hui avec une innocence retrouvée. Revenir à ces années là pour y parcourir d’autres chemins, sur ordinateur comme ailleurs, me fait désormais envisager le jeu vidéo comme un média dans lequel l’expérience initiale est la même et que seule l’accessibilité diverge. Les titres passent d’une plate-forme à l’autre, se libèrent de leur signature d’origine et deviennent finalement ce qu’ils ont toujours été : des œuvres à part entière. Cette fin de la guerre des machines de jeux, qui survit aujourd’hui à travers quelques illuminés prépubères me confortent dans l’idée que cette évolution structurelle est en train d’avoir lieu. Car il est la première étape nécessaire d’une consécration du jeu vidéo, par laquelle nous pourrons évoquer un titre sans le noyer dans un contexte marketing de téléphone portable.

Il n’est jamais venu à l’esprit pour un cinéphile d’être un pro Warner Bros ou un pro United Artists, au prétexte que les studios ont fait le choix de leur public. C’est pourtant dans cette opposition que s’est construite cette discipline, et dont beaucoup de très bons jeux en ont fait les frais. Le fait que les meilleurs titres aux yeux du grand public soient d’abord des titres consoles témoigne ainsi d’un clivage qui n’est pas que marketing. Cette uniformisation, à défaut d’une revanche, est un renvoi à un juste équilibre et une disparition du périphérique comme accès à l’œuvre. Les projets tels que Mame à mon sens une possible entente et réalisent un fantasme de vieux passionnés : une seule et même machine dédiée au jeu, en même temps qu’à la mémoire du jeu vidéo, visible pour la première fois dans sa (quasi) globalité. A défaut d’une complète légalité, le rêve a le mérite d’exister. Pour que le Jeu Vidéo, n’en déplaise à certains, cesse d’être un bien culturel pour être un média comme un autre. Rendre jouable sur vos machines actuelles d’anciens titres délaissés est l’aboutissement de cette démarche.

C’était mieux avant ? Non, c’est bien mieux maintenant !