On entend souvent du jeu vidéo qu’il n’est (ne doit être) qu’un divertissement. Qu’il constitue un moyen d’échapper un temps au quotidien. Dans ce monde de pluralités d’expressions culturelles les jeux vidéo se sont à eux seuls démarqués comme un fait culturel qui a fait fi des pays, des nationalités et des systèmes politiques : de Mario à Myst, de Versailles à Tetris. En réponse aux interfaces qui rendent la réalité toujours plus distante, des mondes virtuels ont favorisé au contraire le développement de l’imagination, et une nouvelle manière de raconter une histoire, par l’interactivité. Les cultures du monde, sans toujours se comprendre, ont pourtant su partager autour de ce même média d’expression.

Le débat grand public autour du jeu vidéo s’est limité ces dernières années à opposer le serious game au jeu tout court, sans qu’aucune alternative ne soit réellement envisagée. Le ludique ou la gravité de l’actualité, nous sommes contraint de choisir entre le divertissement ou le sacré. Il existe pourtant au-delà de divertir – littéralement, faire diversion de l’essentiel – une force narrative et éducative qui ne laisse personne indifférent. Par-delà les manettes et concurrence technologique de l’industrie, il existe une dynamique spécifique au jeu qui nous apparaît comme intemporelle. Plutôt que simplement divertir, nous souhaitons au contraire encourager par le jeu un retour à cet essentiel, et révéler tout ce qu’il a à nous apprendre.

En 1935, Henri Langlois, futur fondateur de la Cinémathèque française, créa un club baptisé le Cercle du cinéma, qui deviendrait la base de l’institution culturelle que nous connaissons aujourd’hui. En plus d’archiver les films, Langlois préserve et met en valeur des œuvres peu connues du grand public et constitue par sa démarche, une première tentative de bâtir une histoire exhaustive du 7ème Art. L’archivage de jeux vidéo existe lui depuis longtemps, au regard de son jeune âge. L’Etat français en a pris l’initiative par l’intermédiaire de la Bibliothèque Nationale de France (BNF) qui a depuis plus de deux décennies, préservé les jeux du commerce au sein d’un grand patrimoine numérique, en même tant que d’autres  projets de particuliers comme Abandonware France ou l’assocation MO5 se sont investis dans la préservation des machines et des œuvres vidéoludiques orphelines. La tâche étant colossale, chacun a su donner priorité à son héritage vidéoludique personnel, dans un esprit à la fois paisible et partisan.

Depuis les origines du jeu vidéo, 100 000 œuvres commerciales sur tout support confondu ont vécu et, souvent de manière prématurée, sont tombées dans l’oubli pour une très grande majorité. Les jeux vidéos demeurent pourtant accessibles dans les mêmes proportions, grâce aux partage de chacun, dans l’anonymat.  Il n’existe pas l’heure actuelle d’institution culturelle  en France dans laquelle on peut découvrir le jeu vidéo dans son ensemble et s’y essayer librement, dans un cadre légal. Nous ne parlons pas ici d’un Musée du jeu vidéo ou de l’Informatique bien qu’un tel projet nous semble tout aussi indispensable. Nous parlons au contraire d’une sorte d’équivalent à cette Cinémathèque française et à son héritage : une Ludothèque Numérique, entièrement consacrée à présenter les jeux et leurs auteurs, en leur redonnant vie. Mais surtout, offrir non un regard passif à ceux qui le découvrent mais faire jouer, et cela dans les meilleurs conditions possibles, aux grands classiques du genre.

 Le jeu vidéo – dont la genèse semble si proche – est paradoxalement devenu un média vieillissant, devancé toujours plus par les progrès techniques au fur à mesure que l’on semble approcher du moment de singularité technologique. Les jeux, enchaînés à leur machine de naissance, ont depuis trop longtemps été contraints de préserver leur habillage d’origine avec un inconfort visuel et ergonomique délibérément forcé. Une autre culture, faite d’émulation et de portage a su donner une existence prolongée et pérenne sur tous support confondus, comme le projet libre RetroArch. A rebours d’un jeu vidéo à l’ancienne, nous choisissons de nous tourner vers un jeu vidéo du présent, dont l’essence même est logicielle.

Le support, comme la machine, sont devenus éphémères. Le plaisir de jouer, lui, est demeuré intact.